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  • Photo du rédacteurLe Nuancier Média

Dark Tourism & Cie

Un tourisme particulier qui donne des frissons



Source : @annbal (libre de droit)

Il est vrai de penser qu’un article au sujet macabre pourrait faire mauvais genre dans un contexte tel que le nôtre. Pourtant, il s’agit d’un aspect de la culture qui intéresse tout un public dès lors que la situation le permet. Actuellement, alors que le virus circule toujours dans les rues, le monde de la Culture se relève difficilement après des mois de fermeture. Des moyens colossaux sont déployés par le monde culturel qui s’est doté d’une mission : amener la culture au public grâce, notamment, à internet et au numérique. Il existe néanmoins tout un pan de la culture qui reste en accès plus ou moins libre et de façon plus ou moins gratuite ... Retour sur une culture en expansion et qui gagne en popularité : le Dark Tourism.


RETOUR SUR LA DÉFINITION DE CETTE CULTURE SI PARTICULIÈRE


Tourisme noir, tourisme macabre, tourisme sombre, thanatourisme, ... tant de noms pour désigner le dark tourism ! Pour faire simple, le dark tourism consiste en la visite de lieux historiquement associés à la mort pour diverses raisons : meurtres, catastrophes, mythes et légendes, légendes urbaines, ouïes dires ... en bref, la tragédie est au centre même de ce tourisme culturel. Ce terme a été inventé par John Lennon et Malcolm Foley en 1996, membres de la Glasgow Caledonian University. L’expérience recherchée est la rencontre avec la mort de façon réelle ou symbolique. Le terme de thanatourisme est le plus ancien directement inspiré du dieu de la Mort de la mythologie grecque, Thanatos. Il désignait aussi les foules romaines qui assistaient aux combats de gladiateurs ou de façon plus récente, les publics qui se rendent aux catacombes de Paris ouvertes depuis 1809 ... Cela montre bel et bien que le dark tourism est né depuis bien plus longtemps que le moment où on l’a assimilé à un pan de la culture, du patrimoine et du tourisme.


QUAND DES LIEUX COMMUNS DEVIENNENT HORS DU COMMUN ...


Il faut se le dire, la particularité des lieux du tourisme macabre est qu’ils n’étaient pas destinés à le devenir. Par de tristes circonstances, ces lieux ont glissé de la case “lieux normaux” à “lieux touristiques et culturels” atypiques. Le cimetière par exemple est initialement dédié à l'inhumation de nos morts et permet aux familles de se recueillir. Mais l’engouement pour les lieux de mort et l’apparition de caveaux fastueux ont fait que le public qui visite les cimetières de jour comme de nuit s’est fortement trouvé diversifié. Certains deviennent même de hauts lieux culturels et patrimoniaux comme le cimetière du Père-Lachaise à Paris, le cimetière Monumental de Rouen, l’ossuaire de Douaumont ou encore l’ossuaire du Mont Kemmel à Heuvelland.


Ce schéma ne s’arrête pas là ! Ainsi les sites de catastrophes ne sont pas en reste comme en témoigne la ville fantôme de Pripiat proche de Tchernobyl tout comme de l’autre côté de la mer de Chine orientale où la ville de Fukushima connaît son petit succès depuis le tsunami qui a entraîné la fuite du réacteur de la centrale qui faisait vivre la ville. Les dark tourist apprécient aussi les lieux de massacres, en témoigne le nombre de visiteurs qui se rendent au tristement célèbre Camp de la mort d’Auschwitz ou au mémorial du génocide de Kigali au Rwanda chaque année. Plus récent, le terrorisme intrigue et les lieux d’attentat deviennent à leur tour des lieux de visite très réputés comme l’emplacement des tours jumelles tombées le 11 septembre ou les lieux des attentats commis en France comme le Bataclan ou la Promenade des Anglais à Nice (petite particularité des exemples de Paris et Nice dans la mesure où il s’agissait de lieux culturels avant les catastrophes). Enfin, les publics sont également intéressés par les lieux de meurtre. Ainsi, Lépanges-sur-Vologne a subi une hausse de son taux de touristes les années qui ont suivi la célèbre affaire du Petit Grégory. De même, il est très étonnant de trouver sur internet des “Tours”, des circuits touristiques, sur le thème des tueurs en série français.


UN TOURISME MAL PERÇU MAIS QUI A DES EFFETS POSITIFS SUR LA CULTURE LOCALE ?


Comme tout autre tourisme, le Dark Tourism influe sur l’économie locale et sur l’attractivité du territoire mais on ne peut s’empêcher d’y voir un certain voyeurisme teinté d’une morbidité assez dérangeante. Les retombées sont variables en fonction de si le site est un lieu 100% public et non exploité comme lieu touristique ou s’il est exploité par une institution quelconque, des bénévoles ou des groupes privés. Il suffit pour mieux comprendre de comparer quelques lieux de Dark Tourism très différents. Quels points communs trouve-t-on entre Pompéi, le Théâtre Ford de Washington et un site victime d’une catastrophe climatique ? Des touristes et la Mort. Ce qu’ils ont de différent en revanche, c’est la gestion et la retombée des bénéfices. Dans le cas du site de Pompéi et de beaucoup d’autres sites volcaniques, ils sont gérés par le territoire eux-mêmes ou une institution et les touristes y viennent en masse tout en dépensant leurs argents dans la localité. Pour le Théâtre Ford, nombreux sont ceux qui y viennent pour voir l’endroit où a été assassiné l’un des présidents américains les plus connus, Abraham Lincoln, mais peu y entrent réellement pour assister à une pièce de théâtre. Les commerces autours en revanche profitent de la ruée des touristes pour vendre. Enfin dans le cas du site de catastrophe naturelle, la retombée économique est assez faible comme à Pripiat ou Fukushima si on prend en compte la zone élargie de protection (et censée être inhabitable) autours des lieux.


DU VOYEURISME AUX DÉRIVES, IL N’Y A QU’UN PAS ....


Nous l’avons dit plus haut, pour beaucoup le Dark Tourism est assimilé au voyeurisme car dans notre société qui s’ouvre progressivement, la mort est encore un domaine sensible (voire sacré) que peu de gens se permettent de bafouer. Certains diront qu’il s’agit davantage d’un tabou autour du deuil que de la mort, un irrespect envers les défunts. Pendant longtemps (et encore parfois aujourd’hui), l’archéologie était considérée comme un tabou, une honte vis-à-vis des dépouilles mises au jour. “Qu’on les laisse en paix !” entend-on souvent. Dans le contexte du Dark Tourism, les situations “taboues” se multiplient. Le tourisme de guerre s’est taillé une place de choix que Henry Gaze, considéré comme le premier agent de voyage, a su exploiter en 1854 en créant l’un des premiers circuits touristiques du genre incluant .... Waterloo ! Les guerres qui ont suivi n’y ont pas échappé et ce sera d’ailleurs Thomas Cook qui reprendra le flambeau pour la Seconde Guerre mondiale ! Les exemples de ce type grimpent en flèche à travers le monde, le Dark Tourism se cachant derrière un prétexte de commémoration.


Ensuite, la déviance économique ou celle du buzz : en septembre 2017, la République dominicaine et Porto Rico ont été dévastées par l’ouragan Maria (4 645 morts). Un mois après la catastrophe, le PDG de Facebook et la responsable de la réalité virtuelle du groupe, ont proposé une visite des zones touchées via une application de réalité virtuelle. L’application a fait un tollé général face à l’irrespect du groupe pour les populations touchées !


Dernier exemple, parlons du Slum Tourism ou tourisme des ghettos / bidonvilles, une variante du Dark Tourism. Le concept est très simple : des visites de zones de pauvreté extrême. Apparaissant pour la première fois au 19e siècle, cela touchait principalement les grandes villes comme Londres ou New York avant de s’élargir considérablement. L’apartheid a notemment attiré les touristes désireux de contempler la misère des peuples afro-américains (ou africains). Et c’est dans les années 90 qu’ont fleuri des tournées internationales. A titre d’exemple, le Cap attirait 300 000 touristes pour ses bidonvilles chaque année. Ce qui paracheva la renommée grandissante de ce tourisme de masse fut la sortie du film Slumdog Millionaire en 2008 ! Inutile de préciser le danger pour les touristes (agressions et vols dont ils sont souvent les victimes) et l’irrespect total dont les touristes font preuve en allant contempler la misère d’autrui.


UN NOUVEAU SPORT URBAIN QUI CÔTOIE LE DARK TOURISM DE PRÈS : L’URBEX.


Le fait que le Dark Tourism se situe souvent en ville a favorisé le développement d’un sport à la limite de la légalité : l’Urbex. En quelques mots, l’Urbex (ou Urban Exploration) est apparu dans les années 90 grâce à Jeff Chapman aka Ninjalicious et consiste en la visite de lieux abandonnés et/ou difficiles d’accès. Avec l’engouement, ce sport a commencé à toucher les lieux de Dark Tourism car bien souvent, ces lieux sont interdits d’accès.


Après les châteaux et sites industriels abandonnés, c’est au tour des sites de catastrophes nucléaires comme Tchernobyl ou Fukushima ! Ils sont très prisés alors que leurs environnements sont encore dangereux pour la santé. Les populations sont encore interdites d’accès, logique donc que ce soit aussi le cas pour les touristes MAIS de nombreuxses amateurxices de touristes sombres bravent les interdits seulxes ou en groupe afin de s’y rendre ! Même des compagnies y emmènent des cars entiers de personnes afin de se promener, un compteur Geiger à la main !

Les prisons ont aussi la côte pour le passé sombre qu’elles renferment comme la prison abandonnée de Loos près de Lille ou Alcatraz aux Etats-Unis pour citer un exemple plus lointain. Enfin, les hôpitaux (surtout ceux comprenant un service psychiatrique) ou les anciens solarium attirent de nombreuxses curieuxses comme l’hôpital Bruno Chollet ou l'hôpital Violette Noziere (en Normandie). Ici, encore les exemples se multiplient et les “touristes” se mettent en danger car ces sites ne sont pas sécurisés ...


Que pouvons-nous dire du Dark Tourism ? Il est attrayant, mystérieux et bien souvent gratuit, un magnifique cocktail pour le grand frisson qu’il procure. Les sites fleurissent dans l’espace urbain un peu partout au gré de l’actualité et des “modes” proposant une tournée de choix pour ceux qui s’y intéressent. Mais les amateurxices de ces lieux si particulier ont la fâcheuse tendance à oublier qu’il est saupoudré d’un zest de danger... Malheureusement, si on peut considérer que ce tourisme fait partie intégrante du monde de la Culture, ces déviances jouent avec la légalité, l’irrespect des mœurs sociales et culturelles et l’insécurité quand bien même ces lieux publics se trouvent en milieu urbain. Et le nombre d’amateurxices ne cesse de croître ... Il y a fort à parier que le Dark Tourism à encore de beaux jours devant lui ... Et vous, où partez-vous le week-end prochain ?



_ Mélaine Lhomme

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