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  • Photo du rédacteurLe Nuancier Média

L’origine et l’usage de la pratique des pieds bandés en Chine

La pratique des pieds bandés correspond à une déformation rituelle des pieds de la femme chinoise à des fins esthétiques, sociales et/ou traditionnelles ; elle restera pourtant une tradition pratiquée par l’ethnie Han (ethnie majoritaire en Chine) jusqu’en 1912, lorsqu’elle sera interdite après la chute de la dernière dynastie chinoise Qing (1636-1912). Les origines de cette pratique, bien que remontant à des siècles lointains, restent pourtant floues et les écrits qui mentionnent son existence sont évasifs et controversés.

Selon les écrits et recherches des lettrés savants, qui annotaient des détails concernant la pratique des pieds bandés dans leurs travaux, on peut tenter d’envisager une certaine chronologie plus ou moins précise de cette pratique. Les références les plus anciennes, s’en référant en tant que “pied courbé” remontent au 12ème siècle.

Les principales figures qui s’intéressèrent à ce sujet abordent des manières plutôt différentes, quoique complémentaires dans leurs analyses justifiant l’origine et l’usage de la pratique des pieds bandés.


Che Ruoshi et Zhou Mi: une part de vérité dans les mythes ?

Parmi les principaux acteurs de ces investigations, il y eut Che Ruoshui et Zhou Mi qui proposèrent de chercher dans les mythes, ayant une importance religieuse et politique très importante pendant l’ère impériale chinoise, une origine potentielle à l’établissement de la pratique. Ainsi, selon le mythe de l’épouse d’un empereur de la dynastie Tang (618-907), cette dernière égara sa chaussette de soie au bord de la route alors qu’elle fut chassée de la capitale à la suite d’une rébellion. Une grand-mère trouva le vêtement et fit fortune en taxant les passants pour un coup d'œil sur la chaussette abandonnée. Un tel investissement émotionnel pour un vêtement se rapportant au pied pouvait, selon Che Ruoshui, supposer que la concubine exilée avait les pieds bandés, même s’il affirmait qu’il s’agissait d’une supposition basée sur un mythe et qui n’est donc pas complètement fiable. Analysée par Zhou Mi, la légende de Yaoniang, une danseuse de la cour du dernier empereur de la dynastie des Tang du Sud, racontait que ce dernier fit envelopper les pieds de la danseuse talentueuse avec du lotus ornementé, faisant de ses pieds des “croissants de lune”. Yaoniang est alors désignée comme la figure même de l’élégance. Même si son personnage reste fictif, cette dernière histoire est vraisemblablement enrichie d’éléments historiques et notamment l’importance de la danse dans ce contexte socio-historique ainsi que la ressemblance des ornements du chausson avec les ornements traditionnels bouddhiques dont le dernier empereur Tang était un fervent adepte.

Jusque-là et pendant encore de longues années à venir, toutes ces théories montrent aussi que pour les lettrés ayant mené des recherches au sujet de cette pratique, les pieds bandés se rapportaient surtout à la sensualité féminine, au pouvoir et aux excès masculins puisque leurs investigations se construisaient surtout sur des poèmes et légendes à visée séductrice ou érotique.

Hu Yinglin: une approche historique centrée autour de l’ornement du pied:

Plus tard encore, d’autres lettrés comme, Hu Yinglin (1551–1602), feront éclore une nouvelle vision en accordant dans leurs recherches une certaine importance à l’ornement plutôt qu’au pied en lui-même.


Hu Yinglin apporta un important et très intéressant point de vue sur la pratique des pieds bandés puisqu’il mena ses recherches sous l’angle matériel et historique des chaussures portées auparavant. Il envisagea toute son étude autour du principe de mode et de genre, apportant des remarques extrêmement constructives sur le rôle qu’a pu jouer le bandage des pieds lorsqu’il s’agissait d’une pratique en vogue. Déjà, Hu Yinglin observe que l’avènement de la pratique des pieds bandés marqua une différence d’habillement entre femmes et hommes puisque des chaussures s'apparentant aux bottes étaient à la mode pendant l’Antiquité ; seulement, en son temps, seuls les hommes portaient ces chaussures qu’il était impensable de faire porter à des femmes aux pieds bandés. Aussi, à travers 21 références littéraires de chaussures féminines datant de l’ère de la dynastie Tang et antérieures à cette époque, il prouve que les femmes ne pouvaient pas avoir les pieds bandés avant cette période. Ses premiers arguments se forment d’abord autour de l’ergonomie des chaussures qu’il ne juge pas adéquate pour des pieds bandés ; et puis il donne surtout beaucoup d’importance (et c’est pour lui une des raisons pour lesquelles les pieds bandés sont populaires) aux ornements présents sur les chaussures. En effet, si ces prédécesseurs, qui déploraient et critiquaient l’aspect pervers des textes qu’ils étudiaient, liaient pieds bandés et nudité fantasmée, Hu Yinglin a été le premier à détacher la définition de bandage du corps féminin.


En redirigeant le regard de ses lecteurs sur l’ornement et l’appareil extérieur de la chaussure, il en apporte une vision moins taboue, plus respectable pour les recherches à venir.

Ainsi, on comprend aussi selon ses dires que la littérature faisant allusion aux “pieds délicats” et aux chaussettes de soie fut d’une grande importance instrumentale dans le changement des standards de beauté qui amena cette pratique au rang de mode.


En ce qui concerne son avis plus ou moins définitif sur les origines temporelles de la pratique des pieds bandés, en se basant sur les descriptions littéraires de chaussures et de pieds dans les anciens écrits, il suggère qu’elle est apparue vers la fin de l’ère de la dynastie Tang (907), et le début des Cinq dynasties (907-960) qui ont suivies. Ainsi, il se base surtout dans les écrits sur le fait qu’un pied décrit comme “fin et long” n’est pas naturel et qu’il est donc synonyme d’un éventuel pied bandé. Il faut tout de même préciser qu’il était, comme ses prédécesseurs, assez sceptique et disait émettre des espoirs que des lettrés savants postérieurs à son époque puissent “trouver une source d’évidence quelque part qui puisse dissiper tous les doutes”.


L’époque de la dynastie des Qing, une pratique omniprésente aux nombreuses variations:

Zhao Yi (1727-1814), historien de l’époque de la dynastie des Qing (1636-1912), a été le dernier à réellement rechercher une origine du bandage des pieds en tant que quête académique et non condamnatoire comme ont pu le faire les missionnaires contemporains à son époque qui utilisaient cette pratique comme un moyen de décrédibiliser la Chine et de la ramener au rang de nation inférieure en Europe.


En son temps, il note que cette pratique est purement d’usage pour les femmes chinoises de l’ethnie Han ; il en sera tel qu’il ne notera dans ses travaux que les exceptions à la norme. Un travail qui restera tout de même grandement intéressant puisque ces exceptions sont d’une importance capitale pour comprendre les variations géographiques de la pratique dans l’empire. Il remarquera dans un de ses travaux : “les femmes de la ville de Suzhou accordent de l’importance aux pieds fins mais celles de la campagne travaillent toutes dans les champs pieds nus".


Cet exemple de non-uniformité dans la pratique des pieds bandés à son époque fait comprendre à Zhao Yi les différences spatiales, culturelles et ethniques de l’empire, ainsi que le rôle du bandage des pieds qui rend ici ces différences visibles.

Il ne faut tout de même pas oublier que cette période a aussi constitué un revirement brusque dans l’usage de la pratique des pieds bandés, en passant d’une pratique réservée aux élites de métropole à une pratique attendue pour n’importe quelle femme de l’empire.

A l’époque de Zhao Yi, le fait que cette pratique soit à la fois omniprésente et dispersée dans tout le territoire le mène à penser qu’elle était multiple et non-uniforme ; il était donc difficile, voire impossible, de pouvoir affirmer qu’elle ait une seule et même racine spatio-temporelle. Même s’il avait conscience que les anciens textes, aussi ambiguës puissent-ils être, étaient tout de même la preuve d’une pratique potentiellement existante et antérieure, il considérait qu’il était futile de chercher une singularité et une certitude aux origines du bandage des pieds.


Ses recherches ne se basaient ainsi pas sur des textes anciens de légendes et de récits comme nombre de ses prédécesseurs, mais sur l’étude des positions rituelles d’assise dans les millénaires qui précédèrent son époque. Ce qui a rendu la pratique possible, et donc plus vaste dans l’usage, se trouve possiblement, selon Zhao Yi, dans le fait de la disponibilité de chaises, facilitant la position assise et soulageant donc la pression sur les pieds (abandonnant une position rituelle accroupie instituée auparavant).


Maintenant, il reste bien difficile de s’accorder sur un point géographique et temporel donné concernant l’origine, les usages et bien évidemment les causes de l’avènement de la pratique des pieds bandés. Seulement, grâce aux travaux des lettrés de l’ère impériale chinoise certes anciens, mais précieux puisque contemporains à son usage, nous pouvons tenter de comprendre quelles ont pu être dans la plus grande partie du pays, les raisons de sa popularité. Il semblerait que la littérature mythologique chinoise ainsi qu’érotique aient joué un rôle très important dans la diffusion d’un idéal de pied “fin et courbé” même si les évocations de “pieds bandés” sont rares et implicites. Passée d’une pratique seulement exercée par l’élite aristocratique chinoise Han, elle devient vers l’ère de la dynastie des Qing une pratique populaire auprès des classes populaires et parfois paysannes dans certaines régions, signifiant à la fois beauté et prestige.


Leur mère leur bandant leurs pieds dès l’âge de 3 à 5 ans (les os étant plus malléables et afin qu’ils cessent leur croissance) cette pratique entravait la circulation du sang et la croissance des pieds ; il était donc parfois “normal” de perdre des orteils. Des études et documentations des conséquences toujours présentes sur les corps de femmes âgées ayant eu les pieds bandés ont été réalisées dans les années 1990, nous apportant les informations nécessaires pour comprendre l’impact qu’a eu le bandage des pieds sur le corps des femmes depuis des millénaires.

Ces analyses ont révélé que toutes les femmes ayant eu les pieds bandés avaient une faible densité osseuse du col fémoral et un risque d’incidence très élevée de fracture de la hanche causée par une perte de stabilité douloureuse et handicapante. Il faut aussi noter que la longueur du pied idéal était d’environ 8 centimètres et que pour cela, les bandages devaient être porté à vie depuis donc le plus jeune âge ; ce qui causait par la même occasion de récurrentes infections ainsi qu’une gangrène et un état ulcéreux des orteils.

Les conséquences sur le corps des jeunes filles en étant victimes n’étaient pas négligeables et représentaient dans la plupart des cas une souffrance qu’elles ont enduré tout au long de leur vie.


-- Yasmina


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