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Lao She, un écrivain de la Chine moderne

Lao She 老舍( Lǎo Shě ), de son vrai nom Shu Qingchun, est un écrivain chinois de la période moderne et l'auteur de romans, de pièces de théâtre et de nouvelles. Il est né le 3 février 1899 à Pékin et est décédé le 24 août 1966 durant la révolution culturelle; ce mouvement lancé par Mao Zedong pour consolider son pouvoir sur la jeunesse de 1966 à 1976.


Issu d'une famille d'origine mandchoue, il évoque dans ses romans le cadre urbain des hutongs, ces ruelles anciennes pékinoises où s'interpénétraient les cultures mandchoue, han et musulmane. Ses récits tracent un portrait de cellules familiales sous l'occupation japonaise ou pendant les dernières heures du régime impérial mandchou.

Ses œuvres les plus célèbres sont les romans Le pousse-pousse (駱駝祥子), Quatre générations sous un même toit (四世同堂) et la pièce de théâtre La Maison de thé (茶馆).


Biographie


Son père, qui faisait partie de la garde du palais impérial de Pékin, décéda le 15 août 1900 lorsque les puissances étrangères prennent Pékin. Sa mère était blanchisseuse.


A cette époque, les partisans du modernisme furent désormais convaincus que le système impérial ne pouvait pas être sauvé. Les idées de réforme se transformèrent alors en idéal révolutionnaire sur fond de haine des Mandchous au pouvoir. Les soulèvements se multiplièrent, comme celui de Wuchang (武昌起义), le 10 octobre 1911, qui fut le prélude à la révolution de Xinhai (辛亥革命), qui mit fin à l’Empire.


Ces révoltes avaient pour objectif de mettre fin à un régime qui avait mis les Hans au ban de la société. Au terme d’une véritable chasse à l’homme, quelques vingt à trente mille Mandchous furent tués en une semaine. Lao She avait douze ans ; il survécut, sa mère aussi, mais il n’oublia pas et ne pardonna jamais.


Lao She dira plus tard qu’il n’avait jamais entendu sa mère, dans son enfance, lui conter des histoires d’ogres et de monstres ; les « diables étrangers » dont elle parlait étaient bien plus effrayants, car ils étaient réels, et avaient affecté toute la famille. Il fut élevé par sa mère, au prix de grands sacrifices. Les conditions matérielles étaient difficiles, mais, bien pire, ils étaient victimes de l’ostracisme et de l’arrogance des Hans redevenus maîtres du pays. Cette situation de paria a profondément marqué Lao She : il eut peu d’amis pendant ses études, et, par la suite, considéra toujours avec méfiance et réticence toute implication dans un mouvement de nature politique.


Sa carrière dans l’enseignement 教育 Jiàoyù


Lao She voulait continuer ses études : il passa en secret l’examen d’entrée à l’école normale de Pékin 北京师范大学 Běijīng Shīfàn Dàxué où il serait nourri, logé, habillé et où les livres lui seraient fournis.

C’est un établissement d'enseignement supérieur réputé pour la formation des enseignants, des sciences de l'éducation et de l'apprentissage de base dans les arts et les sciences. Créée en 1902, cette école a toujours partagé le sort de la lutte du peuple chinois pour l'indépendance, la liberté, la démocratie et la prospérité. L'université a joué un rôle important dans les mouvements patriotiques, notamment le mouvement du 4 mai 1919 (l'émergence en Chine d'une conscience patriotique, opposée aux Occidentaux comme aux Japonais).

En 1918, à sa sortie de l’école, il fut nommé inspecteur au Bureau de l'Éducation et chargé d’une mission d’inspection dans les provinces du Jiangsu et du Zhejiang. L’année suivante, il fut promu contrôleur des affaires éducatives de la Section Nord. Il démissionna en 1921 car il ne supportait pas d’avoir des supérieurs corrompus.

Il devint secrétaire d’une école privée à Pékin, et donna deux heures de cours de chinois par jour en plus du travail de secrétariat.


Il n’a pas participé au mouvement du 4 mai 1919 : pour lui, il s’agissait de luttes entre factions Hans, lui, Mandchou, n’y avait pas sa place. Cependant, il a déclaré avoir été énormément influencé par les idées novatrices nées à l’époque : « [Le mouvement du 4 mai] m’a insufflé un esprit nouveau et m’a offert un nouveau langage littéraire. Je lui suis reconnaissant de m’avoir permis de devenir un écrivain. »


Il commença alors à écrire, et publia en mai 1921 un premier récit très court, en baihua, une mini-nouvelle reflétant les idées de l’époque en faveur de l’émancipation des femmes : L’échec d’une femme 她的失败.

A l’automne 1922, il obtint un poste de professeur de chinois à Tianjin, au collège Nankai (南开中学). Il écrivit là sa première véritable nouvelle, La petite cloche 小铃儿, sans grande valeur politique ou littéraire.


Lorsqu’il revint à Pékin, il se convertit au christianisme et se rendit dans une association chrétienne, où il apprit l’anglais. On lui propose alors un poste en Angleterre.


Sa vie en Angleterre


Il partit en Angleterre de 1924 à 1929, où il fut chargé d'enseigner le chinois à l'École des études orientales et africaines de Londres.


Il y a découvert la philosophie américaine et européenne et y écrivit ses premiers romans inspirés de Dickens : La philosophie de Lao Zhang 老张的哲学, Zhao Ziyue 赵子曰 et Messieurs Ma père et fils 二马.


Le premier roman est écrit à moitié en langue classique et à moitié en chinois ‘vernaculaire’ le baihua, mais la part de baihua augmenta d’œuvre en œuvre. Ces 3 romans sont considérés comme expérimentaux.


La philosophie de Lao Zhang est l’histoire de Lao Zhang 老张, un maître d’école et boutiquier avare et sans scrupule dont toute la philosophie se résume en un mot : l'argent. Préoccupé également par son statut social et pensant qu’une concubine l'améliorerait, il jette son dévolu sur la sœur d’un de ses élèves, tentant de la prendre comme concubine en échange de l’annulation d’une dette. Celle-ci, cependant, est amoureuse d’un autre élève. Lao She développe alors une histoire d’amours contrariée très classique, où les femmes finissent victimes. Ce canevas sentimental n’est que le prétexte à une satire qui s’attaque à tous les travers de la société chinoise : les conditions d’éducation, l’hypocrisie sociale, la sujétion des femmes, la corruption des gouvernements locaux et de la police, le manque d’indépendance de la presse, et l'efficience de la loi.


Messieurs Ma père et fils décrit le mépris, sur fond de racisme, auquel sont confrontés les chinois.xes en Angleterre, et comment iels sont séparés.xes du reste de la population de Londres.


à lire également https://www.cuhk.edu.hk/rct/renditions/sample/b10.html, un article qui décrit sa vie à Londres notamment au niveau de son travail, son logement, et les personnes qu’il fréquentait.


De retour en Chine


De retour en Chine, il se maria en 1931 à Hu Jiexing (1905- 2001), une peintre mandchoue.

En Angleterre, Lao She était devenu nationaliste, mais le pays qu’il retrouve est maintenant polarisé en deux clans ennemis, nationalistes et communistes, qui se livrent une lutte à mort, et la confrontation entraîne à son tour la polarisation du monde littéraire ; le 2 mars 1930 est créée à Shanghai, sous l’égide de Lu Xun, auteur important de la même période, la « Ligue chinoise des écrivains de gauche » (中国左翼作家联盟), à laquelle adhèrent quelque trois cents écrivain.xes. Pourtant, fidèle à sa ligne de conduite, Lao She évite les polémiques, et ne prend pas parti.

Il enseigne pour subvenir à ses besoins dans les universités de Jinan et Qingdao. Plusieurs romans paraissent au cours des années 1930, comme en 1932, La cité des chats 猫城记, une satire où affleure le désespoir autant que l'indignation devant la situation désespérée où se trouve la Chine. Le livre commence comme un roman de science-fiction satirique: il décrit les aventures d’un astronaute chinois dont le vaisseau s’échoue en arrivant sur Mars et se retrouve devant une société d’hommes-chats qui ont tous les défauts de la société chinoise, soigneusement passés en revue.


Son roman le plus connu fut écrit lors de cette période : Le Pousse-pousse 骆驼祥子, publié en 1937. Il démissionna alors de ses fonctions d’enseignant pour se concentrer sur son œuvre. Cette histoire conte comment le personnage principal, un jeune tireur de pousse-pousse, économise pour pouvoir acheter son propre pousse, mais qui est régulièrement détroussé et victime des injustices. Il finit par perdre son optimisme et ses valeurs morales. Ce roman traduit le pessimisme de Lao She, et reflète sa vision d’un pays qu’il considère comme à la dérive.


Début juillet 1937 éclata la seconde guerre sino-japonaise, 抗战 “la guerre de Résistance”. Pékin et Tianjin tombèrent en l’espace d’un mois, puis Nankin en décembre. Le gouvernement nationaliste se replia à Wuhan qui fait office de capitale pendant un an, jusqu’en décembre 1938 ; à cette date, la capitale à été transférée à Chongqing, jusqu’à la fin de la guerre, en 1945. Lao She comme ses confrères écrivains se rendît à Wuhan après la chute de Shanghai en 1937.

Il fut mis à la tête de la "Fédération nationale anti-japonaise des Écrivains et Artistes de toute la Chine" (中华全国文艺界抗敌协会) connue aussi sous le nom de "Fédération des artistes et des écrivains contre l'agression japonaise", créée en 1938 à Hankou, car il fut l’un des rares écrivains de l‘époque à ne pas avoir pris parti dans le conflit nationaliste/communiste.


Il devint aussi éditeur du journal que publiait la fédération, Littérature et arts de la résistance (抗战文艺), le seul magazine littéraire qui paraîtra pendant toute la guerre, de mai 1938 jusqu’en juin 1946, et exercera donc une influence déterminante sur le monde littéraire et artistique.

Lao She participa aux activités de propagande anti-japonaise en écrivant pièces de théâtre, poèmes et essais.


Quatre générations sous un même toit

Il commença l’écriture de son roman Quatre générations sous un même toit 四世同堂, publié en 1949, une nouvelle où il critiqua la société chinoise et traduisit sa nostalgie de la culture traditionnelle pékinoise qui à l'époque, s’efface. Initialement en trois tomes ( "Effroi"《惶惑Jīngqí》, “Subsistance"《偷生Tōushēng》, et "Famine"《饥荒 È huāng》)

Il est un roman de guerre montrant la résistance chinoise, à l’exact opposé de l’humour du Pousse-pousse, qui lui rejoint l’art romanesque chinois traditionnel. Il nous dépeint un monde clos, replié sur sa ruelle, dont la situation se détériore peu à peu au fur et à mesure que se prolongent les combats.


Entre 1946 et 1949, Lao She obtint une bourse du Département d'État, il fut invité avec le dramaturge Cao Yu 曹禺 pour donner une série de conférences aux Etats-Unis où il partit s’installer.


Ce fut suite à l’invitation personnelle de Zhou Enlai, premier Premier ministre de la république populaire de Chine, que Lao She revint en Chine après la fondation de la République populaire, en décembre 1949. Il devint membre du comité éducatif et culturel du gouvernement, député au Congrès national populaire: il fut un personnage influent dans le domaine des arts et des lettres, défendant le système anti-impérialiste. Il mit ses talents d'écrivain au service du régime communiste. Il écrivit ainsi plusieurs pièces de théâtre sur commande, grâce auxquelles il obtint le titre d'artiste du peuple en 1951. Ce sont des pièces avec une vision assez manichéenne, faite “pour éduquer le peuple”.


Victime de la révolution culturelle 文化大革命


Il est l'une des premières victimes de la révolution culturelle. Considéré comme traître, il fut alors publiquement dénoncé et critiqué, puis persécuté physiquement et psychologiquement. Avec trente autres personnalités du monde culturel, il est enfermé dans la cour de l'ancien temple de Confucius à Pékin. Les gardes rouges lui rasent la moitié du crâne, lui versent de l'encre noire sur le visage et lui accrochent un panneau autour du cou indiquant : « monstres et démons ». Puis, agenouillé, il est battu avec des ceintures de cuir et des pieux. Lao She, âgé de soixante-sept ans, s'évanouit. De retour chez lui, sa maison est pillée et saccagée, ses livres et documents, en particulier, sont jetés à terre. Il est retrouvé mort 3 jours plus tard, le 24 août. La version officielle est celle d'un suicide par noyade.

On a prétendu qu'il s'était jeté dans le lac Taiping 太平湖 le 24 août 1966 tant il était désespéré. Cette affirmation est contestée notamment par le sinologue Simon Leys (1935-2014), l'hypothèse du suicide lui parait invraisemblable dans la mesure où en Chine, le suicide est un acte politique fort. Pour le régime maoïste, cet acte apparaît comme une si cuisante dénonciation que le nom même de l'écrivain n'est plus jamais mentionné en Chine populaire.


Aujourd’hui Lao She est décrit comme un auteur doté d'une vive sensibilité tempérée par un exceptionnel sens de l'humour.

Il a été solennellement réhabilité en 1978. Le prix littéraire Lao She, l'un des plus prestigieux de Chine, récompense à présent des œuvres pékinoises.


Doyet Eloane


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