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  • Photo du rédacteurLe Nuancier Média

Réflexions sur la caisse automatique

« Je ne vais pas aux caisses automatiques, car je préfère le contact humain contrairement à la machine. » Cette phrase, je pense que vous l’avez déjà entendue plusieurs fois. L’idée de cette introduction n’est pas de dire que cette pensée n’est pas bonne, elle est même parfaitement recevable. Personnellement, je partage l’idée de la conservation d’un lien humain face à l’individualisation de la société.


Cependant, mon expérience de caissier au Super U de la petite bourgade bretonne d’Erquy me fait relativiser ce point de vue sur la caisse automatique, ou « caisse rapide » pour reprendre la terminologie du magasin. Pour expliciter mon propos, je vais revenir un peu sur l’agencement du magasin et sa place dans l’ancrage local. Le Super U est très grand, avec 19 caisses, trois gros axes de rayons. En entrant dans le magasin, les caisses sont situées sur la gauche, éclairées par les grandes fenêtres. Tout au bout se trouvent les caisses automatiques. Cette configuration change par rapport à certains magasins comme les galeries commerciales où les lieux sont clos et les caisses autos au centre de l’édifice. Ici, lorsqu’on fait des achats en caisse rapide, le·a·x client·e·x est relativement isolé·e·x par rapport au bruit de l’agitation des caisses standards.


Pour revenir sur l’ancrage local, Erquy est une petite ville de 4 000 habitant·e·x·s située face à la mer. Nous recensons trois magasins : une supérette de bourg, un LIDL et le Super U se faisant face à l’entrée de la ville. Il est bien situé à proximité d’un gros axe reliant les villes voisines, peu desservi en termes de supérettes. La population se multiplie fortement en période estivale où le magasin recrute de nombreux·se·x·s saisonnier·ère·x·s pour remplir les 19 caisses. Dès le mois de septembre, le calme revient dans le bourg où les habitué·e·x·s redeviennent les principaux·ale·x·s client·e·x·s. Celleux-ci ont, pour la plupart, un certain attachement avec l’enseigne qu’iels ont vu évoluer pendant des décennies. En effet, la population de la bourgade est très âgée. Il n’est pas rare de ne voir aucun trentenaire après plusieurs heures de caisse en saison basse pendant la semaine. Le Super U n’est pas seulement un endroit pour faire les courses, il est aussi un lieu inscrit dans le quotidien de ces retraité·e·x·s, une activité sociale dans l’emploi du temps. Cela se matérialise avec les rapports personnels entretenus avec certain·e·x·s permanent·e·x·s du magasin, travaillant depuis des années à l’accueil ou la caisse. Je parle ici de permanent.e.x car je les différencie des saisonnier.e.x.s qui travaillent de façon épisodique et qui n’entretiennent pas beaucoup de lien avec la clientèle.


La plus ancienne caissière du magasin, Julienne, est celle qui, majoritairement, s’occupe des caisses rapides. Souriante et agréable, avec ses trente ans d’ancienneté, elle a le contact facile et converse régulièrement avec les client·e·x·s. C’est en voyant cela que je me suis demandé : comment cela se fait-il qu’elle puisse converser avec eux sans soucis ? J’ai comparé avec ma propre situation : il m’est arrivé d’avoir des conversations intéressantes avec les client·e·x·s, mais elles sont souvent limitées. Et pour cause, l’interaction se termine au moment où la personne en face à fini de régler, laissant la place aux autres qui attendent. Les transactions se terminant généralement en deux, voire trois minutes, cela ne laisse pas le temps d’épiloguer sur tel ou tel sujet. En caisse automatique, la configuration est différente. L’hôtesse de caisse est une personne à l’écart dispensable au déroulé des courses. Il est donc possible de faire ses achats et de partir sans dire un seul mot. L’immense majorité des achats se déroule dans des conditions analogues. Cependant, si les client·e·x·s veulent parler, il est tout à fait possible d’entretenir une conversation de plusieurs minutes sans être interrompu (si Julienne, en l’occurrence, ne fait pas une autre activité tel le tri de livres ou si personne n’a besoin d’aide).

Dans les faits, beaucoup de client·e·x·s se succèdent pour échanger avec elle tout au long de la journée. Elle incarne, à mes yeux, le lien social entre la clientèle et les permanent·e·x·s du magasin puisque l’échange est personnel, et non uniquement en lien avec la recherche de tels produits. Cela est possible grâce à un ensemble de facteurs : l’ancienneté de la population, l’inscription de l’achat dans les habitudes hebdomadaires, la configuration du lieu, et enfin, la personnalité de Julienne.



Aymeric Favrel

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