top of page
  • Photo du rédacteurLe Nuancier Média

Un double 49.3 historique et l’achèvement de la démocratie

En l’espace de 24 heures, la Première ministre, Élisabeth Borne, a engagé à deux reprises la responsabilité du gouvernement par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. À quel moment prononcer cette phrase aurait été imaginable ? Un gouvernement qui crache sur le Parlement par l’emploi du 49.3 ça s’est déjà vu, mais deux jours de suite c’est tout bonnement stupéfiant et historique.


À quoi ressemble notre démocratie aujourd’hui ? À la sortie des élections et suite aux nombreuses polémiques du premier mandat d'Emmanuel Macron, on s’en lamentait déjà à peu près tous·texs, mais arriver à un tel mépris de la représentation nationale est affligeant. Que l’on soit bien d’accord, les député·es et sénateur·ices sont loin d’être de bon·nes représentant·es du peuple. En revanche, rejeter d’un revers de la main le si peu de représentativité dont bénéficie le peuple est profondément immoral et anti-démocratique. Le plus important n’est pas les opinions et amendements défendus par la majorité et/ou les oppositions mais la possibilité de pouvoir les exprimer et de les ajouter au texte de loi.


La formule Borne est dans un premier temps de passer de la crème dans le dos des parlementaires pour les rendre bien joyeux·ses et euphoriques pour qu’iels ne soient plus suffisamment attentionné·es pour écouter son discours (j’ai quelques doutes sur son efficacité). La seconde étape est d’expliquer qu’elle a essayé de dialoguer avec elleux mais que celleux-ci n’étaient pas enclin à faire des compromis. Traduction : les parlementaires n’acceptent pas ce que je veux et si on n’accepte pas ce que je décide, c’est qu’on refuse le dialogue et qu’on fait passer ses caprices personnels avant l’intérêt général. Là, apparaît la troisième étape : remettre la faute sur l’opposition, sa volonté d’obstruer, de ne pas être dans le jeu politique et que le gouvernement n’a d’autre choix que d’utiliser le 49.3.

Après cette annonce choc, elle termine en appliquant de nouveau de la crème dans le dos des parlementaires. Elle assure d’une part que tous les amendements votés sur ce texte seront conservés. Or, sur ce point, il ressort que le premier texte soumis au 49.3 est le texte tel qu’amendé par les député·es, mais vidé de tous les amendements qui déplaisent au gouvernement. C’est-à-dire que le gouvernement en sortant sa baguette magique décide ce qui est bien ou non, bien que l’Assemblée nationale ait approuvé et intégré ces amendements. C’est un vrai déni de démocratie ! D’autre part, elle assure que pour les textes futurs, le gouvernement « gardera intacte [sa] volonté de dialogue, [son] devoir d’action et [son] esprit de responsabilité ». Si elle a bien montré une chose, c’est l’action du gouvernement...pour rompre le dialogue et passer outre ses responsabilités démocratiques. Et elle n’a pas menti ! Dès le lendemain, le gouvernement réitère en bafouant la démocratie. Pour une fois que ce gouvernement réalise une promesse, on ne va pas s’en plaindre !


Au-delà de cette pratique, il faut voir la manière avec laquelle Élisabeth Borne justifie devant l’Assemblée nationale l’utilisation du 49.3. Lors de son premier discours, celui du 19 octobre portant sur la première partie du projet de loi de finances de 2023, elle souligne que les oppositions vont voter contre le projet de loi finances, ce qui est très probable. Cependant, elle fait la déduction « intellectuelle » (si on peut utiliser ce terme) que les oppositions ne veulent pas doter la France d’un budget en 2023. Comment est-il possible de dire une telle énormité ? Aucun parlementaire ne revendique ou ne revendiquerait vouloir priver la France d’un budget. Elle n’accepte simplement pas que l’on puisse avoir des opinions différentes des siennes, ce qui n’est pas très démocrate ni républicain. C’est tout de même paradoxal pour une Première ministre qui, il y a quelques mois, prétendait pouvoir désigner quels partis se trouvent dans l’« arc républicain » ou non.


Lors du second discours, celui du 20 octobre sur la troisième partie du projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale, se dégage une impression de déjà vu, une suite d’un film suffisamment mauvais pour regretter qu’il ait été produit. Et pourtant voilà le second qui se dessine. Élisabeth Borne est habillée différemment de la veille mais il s’agit bien là de la seule différence. Le ton est le même, les arguments et les boucs émissaires également. Elle utilise le 49.3 avant même que le texte ne soit débattu dans l’hémicycle. La justification est que les parlementaires ont rejeté la première partie du texte, ce qui est totalement normal lorsqu’il existe des désaccords majeurs sur un texte. Elle reproche ensuite aux parlementaires d’avoir « dénaturé » la seconde partie du texte de sorte à ce qu’il soit « insincère et donc inconstitutionnel ». Mais qui est-elle pour juger de ce qui est constitutionnel ou non ? En plus de s’arroger le pouvoir législatif aussi souvent, elle veut en plus le pouvoir judiciaire. Il faudra l’informer, car elle n’a pas l’air au courant, qu’il existe le Conseil constitutionnel chargé, comme son nom l’indique, de faire les contrôles de constitutionnalité. Mais non, elle se permet de faire ce contrôle elle-même, c’est tellement plus simple ! C’est comme si un·xe policier·èrex se permettait de rendre justice lui-même…oups…mauvais exemple.


Ce qui est également très choquant dans ces scènes, ce sont les député·es Renaissance (nouveau nom de LREM d’Emmanuel Macron) qui applaudissent, sourient et rigolent lorsque Elisabeth Borne prononce le 49.3. Ne se rendent-iels pas compte de cette nouvelle atteinte à la démocratie ? Là où depuis des années les français·exs demandent davantage de démocratie, davantage de légitimité dans la prise de décision, davantage de participant·exs à la prise de décision et au pouvoir, nous avons un gouvernement qui décide seul et des parlementaires du parti gouvernemental qui s’en réjouissent. Est-ce ça la démocratie ? Le parti d’Emmanuel Macron n’était-il pas censé moderniser la politique d’après ses dires ? On peut remarquer qu’il l’a fait mais vers plus d’autoritarisme.


Comme le dicton le dit « jamais deux sans trois », donc nous allons patiemment attendre une troisième utilisation du 49.3. Désormais, personne ne sera étonné si elle se reproduit demain.



Charlie Plassais


* Un amendement est une proposition de modification d’un texte de loi, il peut être accepté ou refusé par les parlementaires.

コメント


bottom of page